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Les tablettes, supports de composition

Icône de l'outil pédagogique Les tablettes, supports de composition

L'usage que le notarius de l'encyclopédiste Pline fait de ses tablettes nous rapproche du travail de composition littéraire proprement dit, où la tablette de cire joue à nouveau un rôle essentiel, à côté des feuillets de papyrus ou de parchemin : elle sert de support matériel à la réflexion de l'auteur antique.

L'histoire rapportée par Denys d'Halicarnasse (actif à Rome à partir de 30 avant J.-C.) est bien connue. On aurait en effet retrouvé, à la mort de Platon, une tablette de cire témoignant de ses hésitations et du travail rythmique qu'il avait mené en écrivant sa République :

« Un philologue ne peut ignorer les anecdotes qui courent sur ses perpétuels scrupules dans le travail, en particulier l'histoire de la tablette découverte, dit-on, après sa mort, et qui portait diverses variantes du début de la République »

Denys d'Halicarnasse, De compositione uerborum, VI, 25, 33 ; trad. G. Aujac.

L'auteur fait varier son expression : c'est naturellement au moyen d'un support réutilisable qu'il mène ce travail.

Lorsqu'il détaille les efforts de composition auxquels doit s'astreindre l'orateur, Quintilien (né ca 35), qui mentionne également les tablettes de Platon, conseille d'utiliser des tablettes de cire. Parce qu'elles permettent une correction aisée et une écriture rapide et sans interruption, elles favorisent en effet l'élan de la composition :

« Il y a encore des détails moins importants (mais en ce qui touche les études, rien n'est insignifiant) à ne pas négliger : il est très bien d'écrire sur la cire, où il est très facile d'effacer, à moins qu'une vue un peu faible exige plutôt l'emploi du parchemin. Tout en aidant le regard, le dernier procédé a pour contrepartie que le fréquent report de la plume dans l'encre retarde la main et brise l'élan de la pensée ».

Quintilien, Institution oratoire VIII, 3, 31 ; trad. J. Cousin.

La tablette servira tout d'abord à noter en désordre les idées qui viendront à l'esprit, comme le suggérait déjà Pline le Jeune :

« Il faut aussi réserver un espace libre pour y noter les idées qui, lorsque l'on écrit, se présentent habituellement en désordre, c'est-à-dire qui se rapportent à des points différents de ceux qu'on a sous la main dans le moment même ».

Quintilien, Institution oratoire VIII, 3, 33 ; trad. J. Cousin.

Mais ces idées viendront s'inscrire autour d'un texte patiemment composé. Car si Quintilien suggère d'utiliser la tablette comme support de notation temporaire, il la présente avant tout comme un outil de rédaction où il sera possible de reprendre le texte, d'en retrancher le superflu et d'y ajouter de nouveaux développements. Il faudra pour cela ménager des marges :

« Qu'on se serve de tablettes ou de parchemin, il faudra laisser en face de ce que l'on écrit des blancs, où l'on pourra faire librement des additions. Car, parfois, le manque de place incite à la paresse pour corriger, ou, du moins, l'insertion de nouvelles idées peut brouiller le premier jet ».

Quintilien, Institution oratoire VIII, 3, 32 ; trad. J. Cousin.

Par ailleurs, l'orateur évitera d'utiliser des tablettes trop larges, le support d'écriture fournissant la mesure de la longueur du discours :

« Je voudrais aussi que les tablettes ne soient pas démesurément larges, car j'ai connu le cas d'un jeune homme, d'ailleurs studieux, qui faisait des discours trop longs, parce qu'il les mesurait au nombre des lignes, et ce défaut, dont il n'avait pu se corriger malgré de nombreux avertissements, disparut avec le changement de tablettes ».

Support de composition, la tablette s'offrira enfin comme outil de mémorisation. Ainsi Quintilien recommandait-il d'apprendre le discours rédigé sur les tablettes mêmes qui ont servi à son élaboration :

« Un procédé, qui ne sera pas sans avantages pour tous, c'est d'apprendre sur les tablettes mêmes où l'on aura écrit. La mémoire en effet suit certaines traces et elle voit comme avec les yeux non seulement les pages, mais presque les lignes mêmes, et quand on parle, c'est comme si on lisait. Et s'il y a une rature ou une addition et, par suite, un changement, ce sont des signes tels qu'en les voyant nous ne pouvons nous tromper ».

Quintilien, Institution oratoire XI, 2, 32 ; trad. J. Cousin.

On retrouve alors la fonction première de support mémoriel qui était celle de la tablette utilisée pour la prise de notes. De fait, l'orateur qui, faute de temps, sera contraint d'improviser pourra emporter avec lui quelques tablettes où il aura jeté l'ébauche de son discours :

« Dans l'improvisation, j'admets ces notes brèves et ces tablettes qu'on peut même tenir à la main et consulter du regard de temps à autre ».

Quintilien, Institution oratoire X, 7, 31 ; trad. J. Cousin.

Outil d'extraction, de rétention mais aussi de composition et de manipulation des discours et des textes, la tablette constitue le premier et le plus indispensable instrument du lettré. Sa présence dans de nombreuses œuvres figurées ne doit donc pas surprendre : véritable marque sociale, la tablette représente alors un objet hautement symbolique qui signale aux yeux de tous l'utilisateur et le producteur de textes.


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