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Iconographie de l’auteur

Icône de l'outil pédagogique Iconographie de l’auteur et éveil
d’une « conscience d’auteur » : de l’autorité
du livre à la paternité du texte.

 

À cet égard, l'évolution des représentations de l'auteur au seuil du livre imprimé, topos iconographique qui remonte au manuscrit, reflète l'évolution de son statut, comme l'ont bien montré les travaux de Cynthia Brown qui s'est intéressée au rapport entre auteurs et imprimeurs au tournant des XVe et XVIe siècles, au moment où se met en place le nouveau réseau social du livre et où s'affirme de plus en plus la « conscience d'auteur ».

Les images représentant la figure de « l'écrivant », assis à son pupitre devant le livre ouvert, plume à la main, sont courantes dans les manuscrits médiévaux. Leur origine remonte à la fréquente représentation, en tête des manuscrits du Nouveau Testament, des quatre évangélistes, relais de la parole divine, parole autoritaire par excellence. L'évangéliste est représenté généralement assis, écrivant dans un volumen ou un codex, ou présentant son livre face au spectateur, souvent inspiré par son attribut symbolique : un aigle pour Jean, un lion pour Marc, un taureau pour Luc et un ange pour Matthieu. Comme l'écrit Hélène Toubert, « le souci d'organiser la page sans laisser trop de vide autour du personnage, joint à celui d'exalter le porte-parole de Dieu, suscita leur installation en avant d'une architecture dérivée de celle du théâtre antique, et cela sans doute dès la première moitié du IVe siècle ». Puis, « la présentation monumentale de l'auteur, surtout lorsqu'elle occupait une pleine page, incita à l'entourer de personnages secondaires qui composaient avec lui une scène ».

Une évolution est à noter dans l'Antiquité tardive : les chrétiens (du IVe au VIe siècle, par exemple dans les mosaïques ou les sarcophages) représentent le livre sacré généralement comme un livre ouvert, que l'on lit ou sur lequel on écrit, ou les deux. À partir du VIe siècle apparaissent d'autres représentations, où le livre est fermé dans de luxueuses reliures et serré sur la poitrine du personnage qui le tient.

Tout au long du Moyen Âge, l'« auteur » continue d'être représenté dans la même posture : dominant l'espace de l'image, il se trouve généralement seul, dans l'intimité de son cabinet, assis à son pupitre ou à sa table de travail, livre ouvert et plume à la main. On peut encore le voir présentant son livre au personnage (roi, mécène, commanditaire) auquel il est destiné : c'est la scène de dédicace, autre thème iconographique extrêmement commun.

De l'autorité divine à l'autorité royale ou princière, cette iconographie maintient la volonté de mettre en scène non pas tant l' « auteur » que la figure qui légitime le livre. Au seuil de ce dernier, elle le place sous l'égide d'une autorité qui marque fermement le réseau social dont il constitue le ferment et l'enjeu de pouvoir qu'il représente.

Jean Bouchet, Les Regnars traversans
(Paris, A. Vérard, 1505)
Source : BnF/Gallica

Ces lieux communs iconographiques sont tout aussi présents dans les imprimés des XVe et XVIe siècles. Mais l'on remarquera que cette scénographie mettant en jeu l'auteur et l'autorité dont il dépend intègre une nouvelle instance, celle du libraire-imprimeur, dont l'écrivain dépend tout autant : non pas tant dans l'image, mais dans le paratexte qui précède l'ouvrage, via sa marque et son adresse ainsi que le privilège qui lui est accordé, alors même que, dans les premiers temps de l'imprimerie, le nom de l'auteur, rappelons-le encore une fois, n'apparaît pas toujours sur la page de titre. Plus il s'y imposera, plus le portrait de l'auteur à son pupitre, bien que figé dans le stéréotype, participera de sa promotion et de son prestige grandissant. Nettement dépersonnalisé, ne représentant pas un individu particulier, elle promeut l'idée d'auteur, l'idée de l'auctorialité et, de fait, l'idée de paternité du texte.

Pierre Gringore, Menuz propos (1521)
Source : BnF/Gallica
Cette prérogative appartenait de droit aux auteurs anciens considérés comme des auctores : ainsi de cette image d'Aristote que l'on trouve en 1521 dans les Menuz propos de Pierre Gringore ou encore cette image mettant en scène Boccace, assis à son pupitre, face aux devisants de son Décaméron, en tête de l'édition qu'en donne Antoine Vérard en 1485 : une inscription fournit le nom du maître florentin.
Boccace, Les Cent nouvelles
(Antoine Vérard, 1485)
Source : BnF/Gallica
C'est cette autorité que chercheront à obtenir les écrivains contemporains, et cette longue quête trouvera une forme d'aboutissement avec un Ronsard qui, en tête de son recueil des Amours, fait figurer son portrait : portrait du poète en majesté, pourvu d'une couronne de laurier. Sous la gravure figure le quatrain suivant :




Tel fut Ronsard, autheur de cet ouvrage,
Tel fut son œil, sa bouche et son visage,
Portrait au vif de deux crayons divers :
Icy le Corps, et l'Esprit en ses vers.

Cette glorification de l'auteur via le portrait exhibé de ce dernier au seuil de son œuvre participe de cette volonté qu'eut Ronsard de s'imposer comme grand poète, poète de référence se voulant l'égal des anciens, figure d'autorité. Une telle revendication, si emblématique des prétentions des jeunes « loups » de la Pléiade, s'inscrit ainsi dans cette longue histoire qui vit les écrivains de la Renaissance partir en quête d'une légitimité, d'une reconnaissance intellectuelle et sociale et d'une place à part entière dans le système économique du livre.


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