La Constitution de 1978
L'un des articles les plus cités et commentés, du point de vue glottopolitique, de la Constitution de 1978, est certainement l'article 3 du Titre préliminaire. Et pour cause : il livre le cadre légal dans lequel les Statuts d'Autonomie, puis les lois linguistiques des Communautés autonomes utilisant une « autre langue d'Espagne » (basque, castillan ou galicien), devaient inscrire la promotion de cette langue, appelée « langue propre ». Cet article stipule en effet que :
« Art. 3 - 1. Le castillan est la langue officielle de l'État. Tous les Espagnols ont le devoir de le connaître et le droit de l'utiliser. »
« 2. Les autres langues d'Espagne seront également officielles dans les Communautés autonomes respectives conformément à leurs statuts. »
« 3. La richesse des différentes formes linguistiques de l'Espagne est un patrimoine culturel qui fera l'objet d'un respect particulier et sera protégé. »
Cependant, cet article ne revêt une grande importance en matière institutionnelle... et sociolinguistique que parce qu'il est précédé d'un article tout aussi fondamental, dont la rédaction a été le témoin d'un affrontement entre les tenants d'une continuité culturelle et linguistique de l'État franquiste à peine tempérée et les tenants d'un certain fédéralisme en matière culturelle et linguistique, vigoureusement stimulés par les nationalistes périphériques : essentiellement ceux de la Catalogne et du Pays Basque. La version retenue de cet article 2 stipule que
« La Constitution repose sur l'indissoluble unité de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols et garantit le droit à l'autonomie des nationalités et régions qui la constituent, et la solidarité entre elles toutes. »
Durant l'année 1978, le débat à propos des termes « nationalité », « nation », « région » devait trouver un large écho dans l'opinion publique, tout particulièrement catalane, où il était alimenté par les prises de position de ce qu'on peut appeler le front nationaliste, regroupant les communistes du PSUC (Partit Socialista Obrer de Catalunya), les socialistes du PSC (Partit Socialista de Catalunya, qui fusionnera par la suite avec la fédération catalane du Partido Socialista Obrero Español - PSOE) et ce qui allait devenir le parti nationaliste le plus important de Catalogne : Convergència Democràtica de Catalunya, base de la coalition Convergència i Unió, qui devait diriger la Generalitat (Gouvernement de la Communauté autonome de Catalogne) durant deux décennies.
Pour les partis nationaux catalans et pour les nationalistes basques, l'utilisation du terme « nationalité » était fondamentale, car elle signifiait, par-delà la reconnaissance juridique d'une spécificité désormais inaliénable, une victoire politique et psychologique, fruit d'un long combat mené sous le franquisme, en même temps qu'elle laissait la possibilité, dans un avenir plus ou moins lointain, de revendiquer le droit à l'autodétermination.
Un large débat sémantico-politique s'est engagé dans la presse : il a donc été largement public. En ce sens, il témoigne d'une réelle aptitude à la mobilisation (dans ce cas essentiellement intellectuelle), pour ne pas dire à la cristallisation autonomiste-nationaliste, selon les impératifs de l'heure. Nul doute que la clairvoyance et la détermination des nationalistes (et des autonomistes) à propos d'une question aussi délicate, leurs diverses interventions, n'aient eu pour résultat immédiat d'isoler les « ultras », héritiers du franquisme. La lutte pour l'équilibre (tout relatif, malgré tout) entre idéologies antagonistes a bien été le moteur rédactionnel de l'article 2 du Titre préliminaire de la Constitution, comme il l'a été pour l'ensemble du texte constitutionnel.