Du diagnostic linguistique aux choix glottothérapeutiques : l'impact de l'école catalane de sociolinguistique
Il faut avant tout considérer qu'au sortir du franquisme la langue catalane maltraitée, marginalisée, minorée, se présentait très affaiblie face à l'hégémonie du castillan et que régnait alors une coexistence linguistique inégalitaire, où, de fait, une langue (le castillan) était obligatoirement utilisée pour tous les domaines de la communication sociale, alors que l'autre langue, dont les usagers avaient résisté à l'assimilation de toute la vigueur de leur loyauté linguistique, n'était tolérée que dans certaines circonstances de communication, essentiellement orales et hors de toute contrainte formelle. Cette situation de concurrence déloyale (car imposée aux usagers par un pouvoir totalitaire), cette situation de domination de la langue de l'État sur une langue minoritaire, domination accompagnée de violences durant toute une période de l'ère franquiste (BENET 1979) les sociolinguistiques des Pays catalans (ARACIL 1965 et 1982 ; NINYOLES 1969) devaient la dénoncer méthodiquement sous l'appellation de conflit diglossique, révisant ainsi l'usage édulcoré nord-américain du concept de diglossie (KREMNITZ 1981, BOYER 1986) : cette situation, malgré tous les efforts officiels pour l'occulter, était porteuse de « mort » par substitution progressive de la langue dominée (le catalan) par la seule langue dominante (le castillan). Les théoriciens catalans (souvent d'origine valencienne) du conflit sociolinguistique ont ainsi et sans relâche produit un corps de doctrine in situ, selon lequel à cette menace de substitution/d'assimilation, la communauté linguistique devait, avec lucidité et détermination, résister et imposer une autre issue à la situation : la normalisation de la langue communautaire, c'est-à-dire son redressement et son expansion dans tous les domaines de la communication sociale, en premier lieu ceux que lui interdisait l'état de diglossie.
Pour le valencien Ll. V. Aracil, l'un des promoteurs de la notion de “normalisation”, celle-ci “ consiste surtout dans l'élaboration et la mise en vigueur de systèmes de normes d'usage linguistique. Or, cela suppose nécessairement que la normalisation est toujours consciente. En réalité, du moment qu'elle est prospective par définition, elle est aussi prévoyante. Elle implique, en effet, non seulement une attitude favorable envers la langue qu'il s'agit de normaliser, mais aussi [...] un espoir et une confiance dans l'efficacité de l'action sociale éveillée et concertée. [...] Une véritable normalisation ne saurait jamais se borner aux aspects “purement” linguistiques. Elle doit envisager en même temps beaucoup de facteurs décidément "sociaux", voire essentiellement politiques » (ARACIL, 1982 : 9). Il s'agit bien là d'affirmations programmatiques, en vue de la mise en œuvre d'une gestion démocratique de la pluralité linguistique, gestion démocratique que le nouvel État espagnol, aiguillonné par sa périphérie, devait inscrire rapidement dans la Constitution.
Et, incontestablement, la sociolinguistique du domaine catalan (VALLVERDU 1980), la seule sociolinguistique espagnole digne de ce nom jusqu'aux années quatre-vingt du XXe siècle (voir, par exemple, RODRIGUEZ YAÑEZ 1993) a été un moteur, non seulement pour les communautés de langue catalane (singulièrement celle du Principat, devenu la Communauté autonome de Catalogne, où les sociolinguistes ont été des acteurs de premier plan dans une lutte identitaire sans concession), mais également pour les autres Communautés « historiques » d'Espagne évoquées par l'article 2 de la Constitution (dont il sera question plus loin. Les “politiques linguistiques” mises en œuvre après la Transition politique en portent la marque, ne serait-ce qu'au travers de la banalisation de la notion-clé de normalisation (socio)linguistique comme objectif.