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L’esthétique de l’imprimé : orner et illustrer le livre
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Évolution du décor du livre
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Alde Manuce, Hypnerotomachia Poliphili, 1499
Source : BnF/Gallica
Nous avons vu que la redéfinition de l'espace du livre
répondait à un souci de lisibilité, de structuration et de hiérarchisation de
la page et du texte. Les choix typographiques, les artifices ornementaux et la
gravure d'illustration, à laquelle on s'intéressera ici, aident ainsi à
« clarifier » la page. Mais il va de soi qu'ils témoignent aussi de
la volonté de faire du livre un beau
livre, un objet esthétique reflétant, entre autres choses, les tendances
artistiques du siècle. L'évolution de la page de titre, déjà évoquée, en
constitue un exemple probant. L'apparition de l'imprimé et, avec lui, la
généralisation de la gravure sur bois accompagnent la démocratisation du livre
et facilitent l'illustration d'un grand nombre d'ouvrages. Au début du XVIe
siècle, le décor du livre connaît une transformation sensible. C'est en effet
le moment « où le mouvement de la Renaissance, qui avait déjà agi sur
l'architecture et la peinture, gagne à son tour les ateliers
typographiques »
.
La gravure d'illustration doit beaucoup aux influences des écoles
septentrionales et des écoles italiennes. C'est notamment par le biais de
Christian Wechel et d'Oronce Fine que se répandent le style bâlois et le style
germanique. C'est sous l'influence du style italien, qui se distingue par une
technique moins raide et plus harmonieuse, que la gravure gagnera en qualité et
en raffinement, à l'exemple notamment de l'Hypnerotomachia Poliphili publié à Venise par Alde Manuce en 1499,
dont la renommée se répand alors en France.
► L'exemple des livres religieux
Le représentant le plus illustre
de ce style est Geofroy Tory. Le premier livre illustré de Tory, Les Heures de la Vierge, publiées en
1525 par Simon de Colines, fait preuve d'une réelle modernisation du style.
Mais c'est surtout son célèbre Champfleury,
paru en 1529, qui marqua un exceptionnel renouvellement de l'art de la
typographie et un bouleversement de l'aspect visuel de la page. Comme l'écrit
Robert Brun, « Geoffroy Tory
comprit, mieux qu'Holbein, la relation intime qui doit s'établir entre le texte
et l'ornementation, et sut maintenir, entre la vignette et le caractère d'imprimerie,
un équilibre parfait. Ses figures, à l'imitation des chefs-d'œuvre des
imprimeurs vénitiens, sont empreintes de sobriété, d'ordre et d'élégance, avec
une pointe de sobriété bien française »
. De fait,
l'entreprise éditoriale et esthétique de Tory constitue une étape cruciale dans
l'histoire de la gravure
d'illustration. C'est dans les années 1530 que « se dessine un tournant et
que l'on peut commencer de qualifier d'archaïques la persistance de l'ancien
style et l'emploi de bois périmés »
. En
effet, les livres à figures se détachent alors de l'influence allemande ou
italienne, et le Songe de Poliphile, dans sa version française de 1546,
appartient à ces œuvres marquant l'épanouissement d'un style français qui
naquit sous l'impulsion de Tory, des imprimeurs humanistes et de l'école de
Fontainebleau. Comme le résume fort bien Michel Pastoureau, « c'est
l'époque du trait pur, du style dépouillé, des proportions harmonieuses, des
figures allongées et nerveuses dont les bois du Poliphile édité par Kerver en 1546 ou ceux de
l'imposant Amadis des Gaules, publié
par J. Longis et E. Groulleau entre 1540 et 1556, sont les manifestations les
plus éclatantes. L'élégance de l'illustration, la perfection de la typographie,
la qualité du papier, l'harmonie de la mise en page, tout concourt à faire de
ce deuxième tiers du XVIe siècle l'apogée du livre à figures »
. Le
second tiers du XVIe siècle marque en effet l'apogée du livre
illustré : l'art de la décoration du livre est parvenu à son point
culminant. « La page imprimée
réunit alors tous les éléments de perfection : qualité du papier, netteté
d'impression, élégance des caractères, proportions des marges et des divers
éléments décoratifs, lettres « fleuries », bordures, vignettes et
fleurons »
.
Cette transformation concerne notamment les livres religieux : livres de piété, bibles, missels ou encore livres d'heures constituent la part la plus importante des livres illustrés au XVIe siècle. Le Miroir de la rédemption de l'humaine lignage, paru à Lyon en 1478, est traditionnellement considéré comme le premier incunable français illustré tandis que Le Missel de Verdun, paru en 1481 chez Jacques Du Pré, est le premier livre illustré parisien. L'imprimerie parisienne apparaît, en l'espèce, un centre important où se développe l'illustration du livre religieux. Pour comprendre l'épanouissement de cette pratique, il faut rappeler que, à l'origine, les livres à figures étaient d'abord destinés à ceux qui ne savaient pas lire. L'image est alors un véhicule d'instruction, mais aussi un instrument de propagande. Les livres d'heures sont particulièrement florissants et, parmi eux, ceux qui sortent des imprimeries parisiennes de Simon Vostre, d'une qualité exceptionnelle, connaissent un succès important. La littérature profane, elle, n'est pas en reste, qui cultive tout autant l'art de l'illustration. L'évolution de la typographie, marquée par une généralisation du caractère romain dans les éditions des auteurs classiques, induit un nouveau style iconographique qui s'accorde mieux avec ces lettres plus nettes et ces formes arrondies. Ainsi, tandis que Galiot du Pré vulgarise les romans de chevalerie, les chroniques ou les annales, il recourt à l'illustration dans la plupart de ses publications.
Les centres typographiques provinciaux
Si, comme on le constate, Paris
concentre une part importante de la production des livres illustrés, notamment
dans les années 1530-1540, il ne faut pas négliger les centres typographiques provinciaux,
dont l'école lyonnaise et l'école lorraine sont parmi les principaux
représentants. La Lorraine a retenu l'attention des historiens de l'art et de
l'illustration par l'originalité de son école de gravure et par des ouvrages
renommés comme le Viator, paru en 1501, mais aussi, et surtout, les
œuvres de Pierre Gringore illustrées, pour beaucoup d'entre elles, par Gabriel
Salmon et où « l'originalité des
figures qui ornent la plupart de ses ouvrages tend déjà à montrer que le poète
dirigeait lui-même leur exécution et leur imprimait son caractère
fantasque »
.
Les Folles entreprises (1505), les Fantasies de Mere Sote
(1516) et les Menus propos (1521) contiennent ainsi des vignettes
appropriées au texte et dont Robert Brun suppute qu'elles ont été, pour la
plupart, gravées spécialement pour l'ouvrage
.
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Maurice Scève, Saulsaye, 1547
Source : BnF/Gallica
Mais parmi les centres
typographiques provinciaux, on sait que Lyon apparaît comme le plus important,
surtout à partir des années 1550.
Sa position géographique en faisait un lieu de passage privilégié entre la
France et l'Italie et attirait un grand nombre d'imprimeurs italiens. Les
libraires lyonnais prennent une part active dans l'illustration de leurs livres
et certains ont leur graveur attitré, comme Jean de Tournes, qui confie
l'exécution des gravures d'illustration à Bernard Salomon, « peintre
autant excellent qu'il y en ait point en nostre hemisphère » selon les
dires de de Tournes lui-même
.
Leur collaboration donnera naissance, en 1547, à l'édition illustrée de la Saulsaye
de Maurice Scève.
À la qualité de l'illustration s'associe en effet
l'élégance de la lettre italique, des lettres ornées, des fleurons et des
bandeaux en forme d'arabesques. Le matériel iconographique qui accompagne le
poème de Marguerite de Navarre, l'Heptaméron,
apparaît donc comme une des composantes de la parure typographique constituant
la marque de fabrique d'une officine prestigieuse, et le témoin d'une politique
éditoriale qui donne la part belle à la dimension visuelle et esthétique du
livre, de la page et du texte.
► L'exemple des emblèmes et des blasons
Le couple de Tournes-Salomon se distinguera surtout dans la publication de livres d'emblèmes, de Métamorphoses d'Ovide illustrées ainsi que de Bibles figurées -- une série d'ouvrages souvent désignés par la critique comme étant des genres « mixtes », où l'image, consubstantielle au texte, atteste de l'importance que revêt alors la pensée symbolique et figurative qui imprègne la mentalité humaniste et trouve, dans l'espace du livre imprimé, un lieu privilégié d'expression. L'épanouissement de la littérature emblématique, depuis la parution en 1531 du recueil fondateur d'André Alciat, s'accompagne d'une complexification de l'imagerie au sein du livre et d'un soin particulier accordé à son esthétique dont profitent alors des ouvrages n'appartenant pas spécifiquement au genre de l'emblème. On n'a pas manqué de relever le soin particulier que Jean de Tournes accorde à la mise en page de ses éditions poétiques, étant « l'un des premiers à discerner le rôle que pouvait jouer en ce domaine l'italique, plus légère et déjà utilisée dans les recueils de vers manuscrits qui circulaient à la cour ». En 1557 paraît ainsi la Métamorphose d'Ovide figurée, véritable chef-d'œuvre où l'on sent les emprunts que fait Salomon au Primatice et à l'école de Fontainebleau. La vogue des « Métamorphoses figurées », qui doit beaucoup à l'emblématique, connaît, à Lyon, un succès croissant et bénéficie de l'art de graveurs de talent comme Pierre Eskreich, à qui l'on doit les illustrations de la traduction de l'œuvre ovidienne par Clément Marot en 1550, chez Guillaume Rouillé. Macé Bonhomme en fournira une édition en 1556, enrichie de la traduction du troisième livre par Barthélémy Aneau et illustrée, elle aussi, de figures.
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Métamorphose d'Ovide figurée, 1557
Source : BnF/Gallica
Quant aux livres religieux, ils représentent une part importante des publications de Jean de Tournes, qui en édite quatre vingt dix-sept entre 1542 et 1564. En 1553, il publie les Quadrins historiques de la Bible et les Quadrins historiques d'Exode attribués à Claude Paradin.
De fait, Lyon voit fleurir l'édition de recueils d'emblèmes et de blasons. En 1548, Macé Bonhomme et Guillaume Rouillé publieront le recueil d'Alciat, qui sera ensuite traduit et ordonné par Barthélémy Aneau en 1551, chez le même éditeur. En 1550, Baltasar Arnoullet publie Le Premier livre des emblemes et le Second livre de la description des animaux de Guillaume Guéroult. En 1552 paraît chez Macé Bonhomme la Picta poesis de Barthélémy Aneau, et sa version française publiée sous le titre d'Imagination poétique. C'est encore à Lyon, et toujours chez Macé Bonhomme, que sont publiés, en 1553, La Morosophie de Guillaume de la Perrière, puis en 1555 Le Pegme de Pierre Coustau. Enfin, c'est chez Jean Marcorelle que Georgette de Montenay publie en 1571 ses Emblemes, ou devises chrestiennes.