Vingt ans après sa disparition, Michel Henry, écrivain-philosophe, enseignant à l'Université Paul-Valéry jusqu'en 1982, a fait l'objet d'un colloque réunissant plusieurs générations de chercheurs. Pour l'occasion, la bibliothèque de philosophie et lettres du bâtiment H a été rebaptisée à son nom.
Un peu plus de vingt ans après sa disparition en 2002, et un an après son centenaire, l’Université Paul-Valéry a organisé un colloque destiné à mettre en lumière la fécondité de l'œuvre de Michel Henry , son radicalisme métaphysique et sa cohérence logique, pour les recherches en philosophie contemporaine que développe aujourd’hui une nouvelle génération.
Cette rencontre a réuni de jeunes chercheurs, encore peu connus du grand public, des spécialistes confirmés de la phénoménologie henrienne, permettant de mesurer la grande diversité des prolongements suscités par l’œuvre de Michel Henry.
Pour l'occasion, la bibliothèque de philosophie et lettres, sise au bâtiment H de notre université, route de Mende a été rebaptisée "Bibliothèque Michel Henry".
Une analyse novatrice de la subjectivité
Michel Henry (1922-2002) a enseigné la philosophie à l’université Paul-Valéry pendant vingt ans, de 1962 à 1982. Ses livres figurent aujourd’hui parmi les textes de philosophie française les plus traduits et étudiés dans le monde.
Arrivé à Montpellier en 1962, il enseigna d’abord dans l’ancienne Faculté des Lettres, établie au centre-ville rue de l’université. Il participa ainsi à la naissance de l’université Paul Valéry, à la fin des années soixante. C’est dans notre université que, tout en enseignant « la » philosophie, il a développé une pensée personnelle radicale, la phénoménologie de la vie, qui, à partir de la phénoménologie, constitue une réponse impressionnante au nihilisme de notre temps.
Inspiré par une intuition fondamentale découverte dès la jeunesse, et continuellement renforcée par les recherches ultérieures, Michel Henry refuse, dès ses premiers ouvrages (L’essence de la manifestation, 1963 ; Philosophie et phénoménologie du corps, 1965) de reconnaître comme fondamental et suffisant le privilège accordé par Heidegger et Sartre à l’extériorité, à l’« existence » comme auto-aliénation du sujet dans le monde, et au prétendu primat ontologique du néant. Saisissant d’emblée que l’être-au-monde repose d’abord sur l’événement primordial qu’est l’apparaître à soi-même du moi – l’auto-donation qui se réalise concrètement dans l’épreuve affective que chacun fait de son propre être, Henry développe une analyse radicalement novatrice de la subjectivité, comme individualité vécue.
Se rendre capable de comprendre l’art
La redécouverte de l’événement originel de l’auto-affection qui fait l’être même du moi, l’essence de la subjectivité, lui permet alors une critique radicale des formes contemporaines de la négation du sujet :
- du marxisme, comme système doctrinal qui aliène l’individu au processus dialectique anonyme de l’histoire, tout à l’opposé de l’intuition originelle de Marx, du travail comme processus vivant – dans les deux impressionnants volumes de son Marx (1976) ;
- de la conception psychanalytique de l’inconscient, ultime aboutissement du processus moderne de réification du sujet, dans sa Généalogie de la psychanalyse (1985) ;
- de la technoscience, qui étend la maîtrise mathématique des objets aux individus vivants eux-mêmes, et accomplit ainsi la perte définitive du sens de notre existence, qui instaure l’« oubli de la vie » ou La barbarie (1987) ;
- et du retour au capitalisme, après l’inévitable effondrement du communisme, si le capitalisme doit devenir la forme mondiale de l’aliénation du travailleur au processus de la production (Du communisme au capitalisme. Théorie d’une catastrophe, 1990).
Mais ce combat critique en faveur de la vie et de l’individualité concrète a aussi son versant de lumière :
Retrouver l’essence affective de la subjectivité, c’est se rendre capable de comprendre l’art : Voir l’invisible. Sur Kandinsky (1988), montre que ce qui se joue dans l’œuvre d’art, ce sont précisément ces retrouvailles affectives de la vie avec soi - du sujet vivant avec l’événement de sa naissance.
En montrant que l’évidence cartésienne du rapport de l’ego à soi prend sens à partir de la réception affective en moi d’une vie dont je ne suis pas la source mais le bénéficiaire, Henry a réouvert la voie à une compréhension non-dogmatique de la vie intérieure, et du sens de la religion comme autorévélation de la Vie. Dans C’est moi la vérité (1996), et Incarnation (2000), il approfondit son analyse de la chair, et de la condition charnelle de l’homme, en une relecture originale du christianisme qui relie directement le message éthique des Évangiles à la genèse ontologique du sujet vivant.
Entretien entre Alain Badiou, assistant de philosophie à Reims, et Michel Henry, professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences de Montpellier (1965 - 28,38 mn)
Une émission de Dina Dreyfus, produite par l'IPN, dans la série Philosophie - Réalisation : Jean Fléchet