Le projet de César fut en partie repris par Asinius Pollion, qui employa le butin qu'il avait accumulé lors de sa victoire sur les Parthes pour restaurer l'Atrium Libertatis - un temple proche du Forum Iulium qui renfermait auparavant les archives des censeurs - et y installer la première bibliothèque publique romaine en 38 avant J.-C. Pollion la divisa en deux sections, l'une grecque, l'autre latine selon le programme césarien. Il fixait ainsi le plan général de toutes les bibliothèques publiques romaines qui seraient bâties par la suite. Loin de se limiter à une démarche purement utilitaire, Pollion élabora également un programme iconographique visant à agrémenter le lieu et à célébrer de grandes figures de la culture grecque et latine.

Mais si elle fixait le plan général que suivraient toutes les futures bibliothèques publiques romaines, la forme privée que revêtait cette initiative - Pollion agissant en son nom propre et puisant dans ses propres ressources - devait rester sans lendemain : ce sont désormais les Princes eux-mêmes et les caisses de l'État qui prendront en charge la constitution des collections, l'édification des bâtiments et le fonctionnement des bibliothèques.

On peut classer les différentes bibliothèques construites par les Princes selon les ensembles monumentaux dans lesquels elles s'inscrivent. Une bibliothèque ne se présente jamais comme un bâtiment isolé et autonome, mais fait nécessairement partie d'un complexe architectural doté d'une fonction définie. D'Auguste à Dioclétien, on verra ainsi évoluer la topographie des bibliothèques, celles-ci, après avoir tout d'abord été associées à des temples (servant parfois de lieux d'archives ou de publication de documents officiels), finissant par être systématiquement incluses dans les thermes impériaux.

 

Temples et bibliothèques

En 28 avant J.-C., Auguste fit construire sur le Palatin, non loin de sa propre demeure, un temple dédié à Apollon et y joignit une bibliothèque. Cette première bibliothèque véritablement publique souligne la double ambition du Prince. La première est architecturale, et vise à doter Rome de bâtiments de prestige, conçus sur le modèle de Pergame et d'Alexandrie. La seconde est culturelle et proprement politique, dans la mesure où les bibliothèques publiques donnent aux Princes une forme de contrôle sur la vie intellectuelle et littéraire.

À la bibliothèque du Palatin, on adjoignit rapidement celle du Champ de Mars dite « du portique d'Octavie ». Utilisant le butin accumulé lors de la victoire remportée sur les Dalmates en 33 avant J.-C., Auguste construisit un ensemble de bâtiments organisés autour d'un portique qu'il dédia à la mémoire de Marcellus, le fils de sa sœur Octavie. Cet ensemble, décoré d'œuvres de bronze et de marbre de sculpteurs réputés, comprenait une bibliothèque, elle aussi divisée en deux sections, grecque et latine. Bien que construite par la famille impériale, cette bibliothèque, tenue par des esclaves publics (serui publici), avait probablement un statut municipal et se trouvait administrée par la ville. Intégralement détruite par un incendie sous le règne de Titus, elle fut reconstruite sous Domitien, puis, après un nouvel incendie, par Sévère et Caracalla.

Après la mort d'Auguste, le sénat vota l'érection d'un temple en son honneur sur l'emplacement de sa maison natale, au nord du Palatin. Livie, femme d'Auguste, et Tibère se chargèrent de sa construction, qui ne fut sans doute achevée qu'en 38 après J.-C., sous le règne de Caligula. Ce fut Tibère qui décida d'adjoindre au temple une bibliothèque et qui la fit décorer d'une statue colossale d'Apollon rapportée de Sicile. L'ensemble formé par le temple et la bibliothèque fut détruit par l'incendie de Rome de 64 et rapidement reconstruit.

La construction du forum de la Paix, menée à bien par Vespasien en 75, offrit l'occasion d'enrichir la Ville d'une nouvelle bibliothèque. Celle-ci fut adjointe au temple de la Paix (Templum Pacis) que Pline l'Ancien regardait comme l'un des plus beaux édifices au monde. Détruit en 169, l'ensemble fut reconstruit par Caracalla, la bibliothèque, doté d'une nouvelle collection, pouvant alors continuer à fonctionner normalement.

La bibliothèque Ulpienne, encore appelée « du temple de Trajan », fut établie en 113 sur le forum de Trajan, dont la construction avait été ordonnée en 107 par l'empereur du même nom et financée par le butin qu'il avait amassé lors de sa victoire sur les Daces. Le célèbre architecte Apollodore de Damas élabora un ensemble architectural comprenant une grande place flanquée de colonnades et ornée de la Colonne Trajane encore visible aujourd'hui, une basilique, le temple de Trajan et deux bibliothèques, l'une latine, l'autre grecque, situées devant ce même temple. Contrairement à la structure habituelle, ce sont les bibliothèques, et non le temple auxquelles elles sont associées, qui occupent une place centrale dans la structure. Le caractère grandiose de la réalisation marqua considérablement les esprits. D'un point de vue chronologique, cette bibliothèque est la dernière qui sera construite à Rome en dehors des structures thermales.

Deux palais impériaux furent également enrichis de bibliothèques : le palais de Tibère (Domus Tiberiana), tout d'abord, qui était situé dans la partie ouest du Palatin et qui fut démesurément agrandi par Caligula ; la célèbre Domus aurea construite par Néron, ensuite. Bien que situées au cœur même du domaine que les princes s'étaient réservé, ces bibliothèques étaient ouvertes au public.

 

Les bibliothèques des thermes

L'urbanisme impérial fit également évoluer le statut des bains. Existant depuis le II^e siècle avant J.-C. sous forme payante, les thermes virent leur statut changer avec l'installation du principat, en particulier lorsqu'Agrippa fit construire un ensemble thermal ouvert gratuitement à tous. Les empereurs reprirent l'idée à leur compte et développèrent des programmes de construction de bains non seulement ouverts à tous, mais aussi somptueusement décorés et équipés de façon toujours plus complète. Dédiés aux soins corporels, ces bains en vinrent progressivement à jouer le rôle de centres culturels à part entière comprenant, outre les équipements thermaux, des jardins, des salles de récitation et des bibliothèques.

Achevés en 109 et construites sur les ruines de la Domus Aurea de Néron, les thermes de Trajan sont les premiers dont des ruines significatives soient parvenues jusqu'à nous. Ils comprenaient une bibliothèque divisée en deux parties, l'une grecque, l'autre latine, construite chacune sous la forme d'absides situées contre le mur extérieur du complexe thermal, de part et d'autre des bains.

L'idée d'adjoindre une bibliothèque aux bains publics sera reprise dans les programmes de construction suivants. Ainsi, les thermes de Caracalla (dont la construction débute en 212) possèdent également deux vastes absides formant l'un la bibliothèque grecque, l'autre la bibliothèque latine. Quant aux thermes de Dioclétien, plus vastes encore et construits en 305-306, tout porte à croire qu'ils comprenaient également une bibliothèque bien que les fouilles n'aient pas encore permis d'en exhumer de traces matérielles.

 

BIBLIOTHÈQUES ADJOINTES À DES TEMPLES

NOM	DATE	LOCALISATION	CONSTRUCTEUR
Bibliothèque de l’Atrium Libertatis	ca 35 avant J.-C.	Forum de César	Asinius Pollion
Bibliothèque Palatine	28 avant J.-C.	Palatin	Auguste
Bibliothèque du portique d’Octavie	Postérieure à 23 avant J.-C.	Champ de Mars	Auguste
Bibliothèque du Temple d’Auguste	36 après J.-C.	Palatin	Tibère (construction), Caligula (dédicace)
Bibliothèque du Temple de la Paix	75 après J.-C.	Forum de Vespasien (dit « de la Paix »)	Vespasien
Bibliothèque Ulpienne	107-113 après J.-C.	Forum de Trajan	Trajan

NOM	DATE	LOCALISATION	CONSTRUCTEUR
Bibliothèque de la Domus Tiberiana	Entre 14 et 37 après J.-C.	Palatin	Tibère
Bibliothèque de la Domus Aurea	Après 64 après J.-C.	Esquilin

NOM	DATE	LOCALISATION	CONSTRUCTEUR
Bibliothèque des thermes de Trajan	109 après J.-C.	Esquilin	Trajan
Bibliothèque des thermes de Caracalla	dès 212 après J.-C.	Aventin	Caracalla
Bibliothèque des thermes de Dioclétien	305-306 après J.-C.	Viminal	Dioclétien

Plan des bibliothèques de Rome