Bibliothèques privées
Rome ne fut pourtant pas privée de bibliothèques et de
ressources jusqu'aux débuts du principat. De riches particuliers équipaient en
effet de bibliothèques leurs demeures urbaines, et plus fréquemment leurs uillae. L'hellénisation progressive des
élites romaines s'accompagnait en effet d'un besoin croissant d'accès aux
textes, qui fut longtemps satisfait au moyen de structures de ce type,
alimentées par la voie du commerce et, plus encore, par le pillage. Mais aussi
fournies qu'elles aient pu être, ces bibliothèques demeuraient des structures
privées, réservées au propriétaire des lieux, à son entourage et au réseau
social qu'il pouvait entretenir. L'apparition de bibliothèques accessibles à
tous imposait la réunion de conditions politiques, matérielles et culturelles
très particulières. Trois grandes bibliothèques privées jouèrent néanmoins un
rôle central dans le développement de structures publiques de conservation et
de consultation des ouvrages.
Si le Sénat, après la prise de Carthage, imposa à Scipion de disperser les bibliothèques de la ville vaincue - Scipion ne rapportant à Rome que les œuvres de l'agronome carthaginois Magon -, il n'en alla pas de même après les victoires remportées dans le monde grec. À l'issue de la guerre de Macédoine (172-168 avant J.-C.) Aemilius Paulus, après avoir défait Persée à Pydna en 168 avant J.-C., se réserva la bibliothèque royale comme butin personnel et la fit parvenir à ses fils. Cette riche bibliothèque, sans doute fondée par le roi Archelaos au Ve siècle avant J.-C., permit à Scipion d'offrir à son entourage un accès unique à des textes grecs auparavant inaccessibles.
La bibliothèque de Sylla
Un siècle plus tard, on l'a vu, au cours de la première guerre contre Mithridate, Sylla s'appropria la bibliothèque d'Apellicon lors de la prise d'Athènes en 86 avant J.-C. Cette bibliothèque, qui devait jouer un rôle capital dans la diffusion de la doctrine péripatéticienne à Rome, rassemblait les collections d'Aristote et de Théophraste, autant d'ouvrages qui n'étaient pour ainsi dire disponibles nulle part ailleurs. Mais la bibliothèque que Sylla put constituer grâce à ce butin était privée : la collection qu'elle renfermait n'était pas accessible à tous. Tyrannion, grammairien de renom, dut circonvenir le bibliothécaire de Sylla pour avoir accès aux textes et pouvoir, secondé par Andronicos de Rhodes, en fournir une édition et un catalogue. Sylla légua ensuite cette bibliothèque à son fils, Faustus Cornelius Sylla, cette bibliothèque où Cicéron put, en 55 avant J.-C., consulter les ouvrages dont il avait besoin.
La bibliothèque de Lucullus
Enfin, la bibliothèque fondée par Lucullus marque une étape essentielle dans l'installation à Rome de bibliothèques véritablement publiques. Nourrie des pillages exercés par le général romain lors de son proconsulat du Pont, et installée dans ses domaines du Latium, celle-ci fut ouverte non seulement à ses proches, mais, de façon beaucoup plus large, à tous les lettrés de passage à Rome, auxquels elle offrait un espace de travail qui reprenait la forme de la bibliothèque de Pergame (galeries et salles de travail accueillaient les lecteurs) et préfigurait les futures bibliothèques publiques romaines, comme le souligne Plutarque :
Ce qui est encore digne d'admiration et qui mérite d'être rappelé, c'est la façon dont il (sc. Lucullus)sut organiser sa bibliothèque. En effet, il réunissait beaucoup de livres, bien écrits, et l'usage qu'il en fit l'honora plus encore que leur acquisition, puisque ses collections étaient accessibles à tous. Les galeries et les salles de travail accueillaient, sans restriction, les Grecs, qui s'y rendaient comme à une retraite des Muses et y passaient ensemble la journée, s'éloignant avec joie de leurs autres occupations. Souvent aussi Lucullus lui-même y prenait quelque distraction ; il s'engageait avec les lettrés dans les galeries et prêtait son appui à ceux qui le réclamaient pour une affaire publique. En somme, sa maison était un foyer et un prytanée pour tous les Grecs qui arrivaient à Rome. (Plutarque, Vie de Lucullus 42)
Ces trois grandes bibliothèques privées illustrent la situation paradoxale de la Rome du Ier siècle avant J.-C. Devenue progressivement un centre culturel essentiel dans le monde hellénistique, Rome dispose vraisemblablement de ressources bibliothécaires importantes, mais dispersées et dépendantes non seulement de l'hospitalité des propriétaires, mais aussi de leurs ressources : Faustus Sylla, ainsi, sera contraint de disperser sa collection pour faire face à ses dettes. L'attitude de Lucullus, qui offre à ceux qu'il accueille une collection et un espace de travail, et qui donne à sa bibliothèque non plus seulement une fonction sociale - celle d'un outil permettant de développer un réseau d'amitiés, mais bien celle d'un outil de diffusion culturelle, est représentative d'une évolution des mentalités ou, à tout le moins, d'une prise de conscience des besoins qui se font désormais sentir.
Vingt ans plus tard, Jules César, alors dictateur, décidera
de fonder une bibliothèque d'usage public renfermant des collections grecques,
mais aussi latines : il chargea l'érudit Marcus Varron de rassembler la
plus vaste collection possible et de la mettre à disposition de tous. Les Ides
de mars 44 et la mort de César mirent fin à l'entreprise.
► Lieu
Comment une bibliothèque privée comme celle de la Villa des Papyrus d'Herculanum était-elle organisée et utilisée ? Les informations directes qui permettraient de répondre à cette question difficile sont inexistantes, en dehors de ce qu'on peut lire dans les rapports de fouilles rédigés au moment de l'exploration souterraine de la Villa par le moyen d'étroites galeries de mine creusées sous une vingtaine de mètres de dépôts volcaniques. C'est sur cette base et celle du plan (exceptionnellement précis et fidèle à la réalité) dressé par l'ingénieur suisse Weber vers 1760 que les ingénieurs d'une entreprise italienne, « Capware-Tecnologie per la cultura », ont proposé une reconstitution virtuelle plausible de l'apparence qu'offrait la bibliothèque grecque de la résidence des Pisons au moment de l'éruption de 79 (voir la reconstitution de la Villa des papyrus d'Herculanum sur le site de Capware-Tecnologie per la cultura).
Fig.1 - Une boîte à rouleaux et autres matériels à écrire –
Fresque de Pompéi conservée au Musée Archéologique National de Naples –
Cliché D. Delattre
Dans une petite pièce presque carrée de 3,20 m de côté environ, éclairée par une ouverture donnant sur un péristyle dominant la mer, des niches logées dans les parois occupaient la quasi totalité des trois murs aveugles. Elles accueillaient les rouleaux, qui y étaient rangés côte à côte (l'étiquette-titre tournée vers l'extérieur), sur plusieurs épaisseurs. Au centre de la pièce se trouvait un meuble bas en bois (dont le dessus jouait le rôle de table), équipé de tiroirs à l'intérieur desquels d'autres rouleaux étaient également rangés. Au total, il pourrait y avoir eu dans cette modeste salle six à sept cents rouleaux , chiffre considérable pour une bibliothèque privée. On y a retrouvé aussi quelques boîtes à rouleaux (fig.1) en écorce de bois léger (capsae), où les volumina (latins, semble-t-il) étaient conservés debout. Au moment des premières fouilles, il semble que le brusque contact de l'air extérieur ait provoqué une dégradation rapide des éléments de bois. On a par ailleurs découvert dans cette même pièce plusieurs petits bustes en bronze, dont ceux d'Épicure (fig.2), Hermarque, Zénon (qui, de l'avis des spécialistes d'iconographie, serait plutôt le Stoïcien que l'Épicurien, maître de Philodème) et de Démosthène : il ne paraît pas invraisemblable que les différentes niches aient pu être repérées par de tels bustes, qui auraient signalé clairement aux usagers de la bibliothèque dans quelle étagère étaient rangées les œuvres de tel ou tel auteur. Il n'est guère possible d'aller plus loin dans l'évocation de l'aspect matériel de cette bibliothèque, qui reste pour nous exceptionnelle sous de nombreux rapports, mais que les fouilles reprises peu avant la fin du XXe siècle n'ont, malheureusement, pas encore permis de réexplorer.
Fig.2 - Petit buste d'Épicure retrouvé dans la Villa des Papyrus et conservé au Musée Archéologique National de Naples Source : Wikimedia
La bibliothèque de la Villa des Papyrus à Herculanum est donc l'unique bibliothèque antique - généralement associée au nom de Philodème de Gadara - qui nous soit parvenue, conservée en l'état grâce à l'éruption du Vésuve de 79. On sait par Cicéron que Calpurnius Pison Caesoninus était le patronus romain de l'épicurien Philodème et qu'il possédait, entre autres, une villa résidentielle à Herculanum : c'est très vraisemblablement à Pison qu'appartenait cette villa. Une étude paléographique approfondie a permis à G. Cavallo de mettre en évidence trois étapes différentes dans la constitution du fonds libraire grec que nous allons détailler, avant d'évoquer plus rapidement le fonds latin (encore incomplètement retrouvé).
► Fonds
Un premier noyau de textes fondateurs de l'épicurisme, copiés entre le IIIe siècle et la fin du IIe siècle avant J.-C., est constitué par des volumina antérieurs à Philodème, comme les restes des livres 2, 10, 11, 14, 15, 25, 28 et 34 identifiés à ce jour de La Nature d'Épicure. Parmi ces derniers, les livres 2 et 28 offrent une même écriture, la plus ancienne, tandis que les fins des livres 14 et 15 ainsi que deux autres livres incertains appartiennent à une édition plus tardive, dans deux écritures assez proches. Certains de ces livres (2, 11, 25), qui se rencontrent en deux ou même trois exemplaires, devaient appartenir à des éditions différentes (procurées peut-être par tel ou tel centre épicurien, d'Athènes, Rhodes, Cos ou Milet). Elles présentaient sans doute des variantes, ce qui impliquait le recours à la critique textuelle pour l'établissement de la lettre authentique du texte d'Épicure ; art dans lequel Démétrios Lacon, qui enseignait à Milet vers la fin du IIe siècle avant J.-C., était passé maître (à en juger par un ouvrage critique comme celui que contenait le PHerc. 1012). Plusieurs autres livres de ce même épicurien : Les Poèmes I et II, La Géométrie, Les Apories de Polyène, et probablement aussi [La Forme du dieu], font partie du premier noyau de la collection. De même, certaines œuvres composées par les disciples immédiats d'Épicure, comme le Philistas de Carnéiscos, sur l'amitié (PHerc. 1027), ou La Philosophie de Polystrate (PHerc. 1520) et aussi les restes très fragmentaires d'un ouvrage que Zénon de Sidon (PHerc. 1533), qualifié non sans raison par Cicéron de « vieux pinailleur » (acriculus senex), avait intitulé Objections aux objections de Cratéros à <mon livre> Sur les démonstrations en géométrie.
Ces différents ouvrages, qui avaient probablement été déjà rassemblés avant que Philodème ne s'installe définitivement en Italie (vers -75 ?), ont pu lui avoir été légués par ses maîtres ; à moins qu'il ne les ait emportés avec lui en Italie après le décès du scholarque Zénon afin de sauver la bibliothèque du Jardin d'Athènes, une fois l'Achaïe conquise par les troupes de Sylla.
Un deuxième fonds très important, composé des œuvres philosophiques de Philodème de Gadara,
est constitué de copies datées par Cavallo de -75 à -35 environ, et correspond
à la seconde partie de la vie de l'Épicurien. Étant entendu que ces copies sont
(plus ou moins) postérieures à la date de composition des œuvres elles-mêmes,
il est possible de proposer un classement chronologique de ces dernières sur
deux générations successives de scribes.
Parmi ces rouleaux, on compte :
- des œuvres historiques et biographiques, parmi lesquelles La Revue des philosophes, seul ouvrage de Philodème qu'ait connu la tradition (Diogène Laërce, Vies X, 3) ;
- des œuvres à préoccupation éthique et éducative : un vaste ouvrage sur Les Caractères et les genres de vie dont Le Franc-parler (PHerc. 1471) n'était qu'un livre ; un ensemble sur Les Passions auquel La Colère (PHerc. 182) et La Folie (PHerc. 57) se rattachent ; enfin d'autres ouvrages en plusieurs livres comme La Musique (en quatre livres) et les trois premiers livres de La Rhétorique (sur un total d'au moins dix livres) qui en seraient chronologiquement proches par l'écriture des copies ;
- d'autres œuvres esthétiques : Les Poèmes (en cinq livres) et les livres IV à X de La Rhétorique (dont la composition se serait poursuivie sur une longue période) ;
- des œuvres théologiques : La Piété (en deux rouleaux ?), Les Dieux (en trois livres au moins) ;
- des œuvres proprement éthiques : ainsi Les Vices et les vertus opposées, un autre gros ouvrage en dix livres (ou plus), dont les mieux conservés traitent de la flatterie (PHerc. 222), la richesse (PHerc. 163), l'économie domestique (PHerc. 1424) et l'arrogance (PHerc. 1008), mais aussi de la calomnie, de la démesure, de l'amour, de la gloire, de la conversation, la gratitude. Quant aux <Choix et rejets> appelé aussi Ethica Comparetti (PHerc. 1251) et à La Mort, dont n'est conservée que la fin du livre IV (PHerc. 1050), ils sont habituellement considérés comme faisant partie des dernières œuvres de Philodème ;
- enfin, Les Phénomènes et les Inférences (PHerc. 1065), une œuvre logique fort originale, ne permet pas de savoir, du fait de sa composition « neutre » (Philodème y donne en effet la parole à plusieurs épicuriens plus ou moins contemporains sans intervenir lui-même), s'il s'agit là d'un écrit de jeunesse recopié tardivement ou bien d'une œuvre de la maturité .
Un troisième et dernier groupe de livres est constitué d'œuvres de Philodème, mais dans des copies postérieures à -25 (toujours sur la base de la datation des écritures), comme La Piété (PHerc. 242/247) et Épicure (PHerc. 1232).
Il se rencontre aussi dans cette bibliothèque quelques textes du philosophe stoïcien Chrysippe comme La Providence ou des Recherches Logiques, et aussi un écrit éthico-politique stoïcien (encore inédit), le premier à avoir été identifié jusqu'ici (PHerc.1384). La présence de tels livres dans une bibliothèque principalement épicurienne s'explique de manière naturelle par l'usage qui en était fait : ils servaient en effet soit d'objets de réfutation soit de catalyseurs pour l'apologie du Jardin.
Plusieurs livres incertains de La Nature d'Épicure et quelques ouvrages de ses disciples immédiats, Colotès, Métrodore, Polystrate, ont aussi été classés par Cavallo au nombre des copies tardives, qui auraient pu entrer dans la bibliothèque après la disparition de Philodème (sous réserve de l'approximation inévitable de la datation paléographique). Néanmoins, l'absence de copies postérieures à la toute fin du Ier siècle avant J.-C. parmi les « écorces » analysées par G. Cavallo à Herculanum suggère que, à l'époque de l'éruption du Vésuve, ce fonds d'ouvrages grecs n'était plus tenu à jour par les propriétaires de la Villa depuis une cinquantaine d'années environ : on peut ainsi admettre que la bibliothèque était déjà « morte » depuis longtemps, avant son ensevelissement.
Les volumina latins actuellement répertoriés sont au nombre d'une petite centaine. Mais peut-être en subsiste-t-il encore d'autres, dans les parties non encore excavées de la Villa des Papyrus. Le plus fameux d'entre eux est sans doute le De Bello Actiaco (PHerc. 817), fragment d'œuvre épique attribuée par M. Gigante au poète Lucius Varius Rufus, ami de Philodème et de Virgile (à moins qu'elle ne soit plutôt de Caius Rabirius, comme on l'a longtemps soutenu). Quant au PHerc. 395, très peu lisible en raison du mélange inextricable des strates de papyrus, il n'est pas impossible qu'il ait contenu le chant II du poème de Lucrèce, tandis que le PHerc. 78 contient une comédie inconnue de Caecilius Statius, L'Usurier, en cours d'édition par K. Kleve.
Étant donné la présence massive des écrits de Philodème de Gadara dans la bibliothèque de la Villa des Papyrus à Herculanum (écrits inconnus de la tradition médiévale), tout porte à croire que c'était bien là la collection de livres personnelle de ce professeur d'épicurisme. Deux arguments viennent appuyer cette conviction.
La bibliothèque d'Herculanum est la seule bibliothèque privée dont nous ayons conservé le fonds ou des témoignages sur ce fonds. En général, on a des descriptions de lieux comme Pline le Jeune (II, 19) qui, décrivant sa villa sur sa terre de Laurentin, évoque l'emplacement de sa bibliothèque :
« La maison est d'une grande commodité, et n'est pas d'un grand entretien : l'entrée est propre, sans être magnifique. On trouve d'abord une galerie de figure ronde, qui enferme une petite cour assez riante, et qui offre une agréable retraite coutre le mauvais temps; car elle vous met à l'abri par des vitres qui la ferment de toutes parts, et beaucoup plus par un toit avancé qui la couvre. De cette galerie, vous passez dans une grande cour fort gaie, et dans une assez belle salle à manger qui s'avance sur la mer, dont les vagues viennent mourir au pied du mur, pour peu que le sent du midi souffle : tout est portes à deux battants, ou fenêtres, dans cette salle, et les fenêtres y sont aussi hautes que les portes : ainsi à droite, à gauche, en face, vous découvrez comme trois mers en une seule; à l'opposite, l'œil retrouve la grande cour, la galerie, la petite cour, encore une fois la galerie, et enfin l'entrée, d'où l'on voit des bois et des montagnes en éloignement. À la gauche de cette salle à manger est une grande chambre moins avancée vers la mer; et de là on entre dans une plus petite qui a deux fenêtres, dont l'une reçoit les premiers rayons du soleil, l'autre en retient les derniers : celle-ci voit aussi la mer, dont la vue est plus éloignée, et n'en est que plus douce. L'angle que l'avance de la salle à manger forme avec le mur de la chambre semble fait pour recueillir, pour arrêter, pour réunir toute l'ardeur du soleil; c'est l'asile de mes gens contre l'hiver, c'est où ils font leurs exercices : là, on ne connaît d'autres vents que ceux qui, par quelques nuages, troublent la sérénité du ciel; mais il faut que ces vents s'élèvent, pour chasser mes domestiques de cet asile. Tout auprès il y a une chambre ronde, et percée de manière que le soleil y donne à toutes les heures du jour : on a ménagé dans le mur une armoire en façon de bibliothèque, où j'ai soin d'avoir de ces livres qu'on ne peut trop lire et relire. De là, vous passez dans des chambres à coucher séparées de la bibliothèque par un passage suspendu, et garni de tuyaux qui répandent et distribuent la chaleur de tous côtés... ».
On trouve également une approche critique des bibliothèques rassemblées pour l'ostentation chez Sénèque : dans son traité sur La Tranquillité de l'âme en effet, le philosophe, donnant des conseils de vie marqués par la continence et la modération, dénonce les bibliothèques réunies pour la montre :
(9, 7)« ... Même les dépenses pour les études, les plus nobles de toutes, ne me paraissent raisonnables que si elles sont modérées. Que me font ces immenses quantités de livres, et ces bibliothèques dont le maître en toute sa vie peut à peine lire les titres? Cette masse d'écrits surcharge plutôt qu'elle n'instruit; et il vaut bien mieux t'adonner à un petit nombre d'auteurs que d'en effleurer des milliers. Quatre cent mille volumes furent brûlés à Alexandrie; superbe monument d'opulence royale! répèteront des enthousiastes, après Tite-Live, qui appelle cela l'œuvre de la magnificence et de la sollicitude des rois. Il n'y eut là ni magnificence ni sollicitude ; il y eut faste littéraire, que dis-je, littéraire? ce n'est pas pour les lettres, c'est pour la montre qu'on fit ces collections ; ainsi, chez le grand nombre, chez des gens qui n'ont même pas l'instruction d'un esclave, les livres, au lieu d'être des moyens d'étude, ne font que parer des salles de festin. Achetons des livres pour le besoin seulement, jamais pour l'étalage... ».