Le bilan...
Les événements des 5 dernières années suffisent pour mettre en évidence l'échec (du moins partiel) de la politique linguistique menée en Galice. Si pendant une vingtaine d'années la politique linguistique institutionnelle en faveur du galicien, mise en place sans trop de conviction par des responsables venant fondamentalement des secteurs politiques de droite (non nationaliste), a peu à peu marginalisé (mais pas évincé) le conflit initial entre les partisans et les détracteurs de la normalisation du galicien, il suffit d'un mandat de la gauche nationaliste (associée au Parti Socialiste de Galicia, majoritaire) pour qu'il revienne avec force dans l'espace public. Des mesures mal expliquées et mal comprises par un secteur important de la population ravivent fortement un conflit qui semblait endormi et mettent en évidence que du point de vue des représentations du galicien il reste un long chemin à parcourir, du moins pour une partie relativement importante de la population.
Parallèlement les associations civiles se sont radicalisées : A Mesa, qui avait joué un rôle très actif et efficace durant les premières années de la mise en pratique des mesures de politique linguistique, soutient les nationalistes au pouvoir en même temps qu'elle dénonce sans trêve (et sans retenue) les actions de la Secretaría xeral de política lingüística. Parmi ses initiatives, l'une des plus maladroites est celle d'envoyer des lettres (interprétées comme des menaces par leurs récepteurs) à des commerçants qui n'utilisent pas le galicien dans leurs établissements.
Du côté opposé, une nouvelle association aussi active et aussi radicale se forme, « Galicia bilingue » (qui, malgré son nom, cherche plutôt le monolinguisme castillan).
Lors des dernières élections à la Présidence du gouvernement autonome (Xunta de Galicia ) en mars 2008, le débat (parfois houleux) sur la langue occupe (pour la première fois) une partie importante des discours des candidats ainsi que des médias et contribue à l'échec des deux partis qui sont au pouvoir au profit d'un parti de droite bien plus modéré (voire castillaniste) en matière de politique linguistique (le Parti Populaire de Galicia). Celui-ci annonce et prend des mesures comme l'abrogation du décret sur l'enseignement ou l'annulation de l'exigence de connaître le galicien pour les fonctionnaires.
Malgré cette situation conflictuelle, dire que la politique linguistique menée en Galice n'a pas obtenu des résultats est bien évidemment faux. Le cadre politique existant, les mesures (quoique timides) prises par l'administration, et l'implication d'une partie de la population (enseignants, associations civiles...) ont permis d'améliorer la situation du galicien.
En ce qui concerne les usages, des enquêtes réalisées en 1992 (Seminario de Sociolingüística 1994) et en 2003 (Instituto Galego de Estatística 2004) permettent de faire un premier bilan : d'une façon générale, le galicien continue à être la langue majoritaire en Galice même si l'on observe une légère perte de locuteurs (tendance qui s'est légèrement ralentie). Cela dit, le galicien n'est plus la langue majoritaire pour ceux qui ont moins de 16 ans et le pourcentage de ceux qui ont eu le galicien comme première langue diminue de 62,4 % en 1992 à 53,7 % en 2003 (Consello da cultura 2005).
La généralisation de l'enseignement du/en galicien à l'école et sa présence dans la vie publique ont également amélioré les compétences de lecture et d'écriture.
Mais l'introduction d'un modèle normé de galicien dans la société n'a pas été accompagnée d'une vraie planification linguistique à tous les niveaux et dans tous les domaines de la société. Les représentations se sont accommodées à la nouvelle situation, mais les préjugés concernant le galicien ne sont pas disparus. Si les représentations de la langue A n'ont pas tellement varié : le castillan (que ce soit dans sa variété standard ou (moins) dans sa variété régionale) est la langue de la modernité, du progrès, de la culture..., on peut parler d'une double ambivalence des représentations de la langue B. Si au départ le galicien était l'objet d'une double stéréotypisation : positive (langue du cœur, langue des racines...) et négative (non-langue, marque d'inculture...) (cf. Boyer 2007) l'installation dans les répertoires linguistiques d'un galicien standard, plus ou moins normé, a provoqué une « accommodation » des représentations. Les variétés de galicien populaire, dialectalisées et d'assise territoriale rurale continuent à porter les vieux stéréotypes ambivalents : « non-langue », langue de la misère, objet d'auto-odi * (Ninyoles 1969), mais en même temps et en compensation : langue du cœur, langue naturelle. On sait bien que les stéréotypes sont des représentations figées, très difficiles à modifier (Boyer 1997). Mais le galicien standard est également porteur de représentations ambivalentes : d'un côté il est vu comme « moderne », « correct », « urbain » (sans pour autant concurrencer le castillan), et de l'autre il est considéré comme « artificiel », « inventé », et associé souvent aux milieux « nationalistes ».
L'expérience galicienne montre que l'efficacité d'une politique linguistique visant la normalisation d'une langue en situation de minoration implique une vraie planification qui prenne en compte la société dans son ensemble, à partir d'une analyse profonde de la configuration sociolinguistique de départ : les usages, mais aussi les représentations sociolinguistiques.
Je reprendrai ici quelques critiques qui pourraient servir de conclusion :
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Un diagnostic sociolinguistique insuffisant sinon erroné (qui n'a pas tenu compte des configurations sociolinguistiques des différents secteurs de la population galicienne et de leurs besoins)
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La non-prise en compte de l'importance de la composante représentationnelle
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Une planification linguistique fragmentaire centrée essentiellement sur l‘enseignement et sur la diffusion de la norme (écrite)