Aspects techniques et juridiques
Les notions recensées, et même si certaines sont concurrentes (pas totalement) permettent d'établir au moins deux niveaux d'intervention (et donc d'analyse) en matière de gestion des langues. Car pour qu'une politique linguistique (comme toute politique : éducative, sanitaire, environnementale...) ne s'arrête pas au stade des déclarations et passe à l'action, il faut qu'elle mette en place un dispositif et des dispositions (Boyer 1996) ; on passe à un autre niveau, celui de l'intervention glottopolitique concrète : c'est alors qu'on parle alors de planification, ou d'aménagement ou de normalisation linguistiques.
Une politique linguistique peut :
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concerner telle langue dans son identité structurale. Il peut s'agir alors d'une intervention de type normatif (visant, par exemple , à déterminer une forme standard, à codifier des fonctionnements grammaticaux, lexicaux, phonétiques... hétérogènes, ou encore (ou en même temps) à donner une écriture à une langue qui n'était qu'orale, ou à modifier une orthographe, etc. Et à diffuser officiellement les (nouvelles) normes ainsi fixées auprès des usagers ;
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concerner les fonctionnements socioculturels de telle langue, son statut, son territoire, face aux fonctionnements socioculturels, au(x) statut (s), au(x) territoire (s) d'une autre /d'autres langue (s) également en usage dans la même communauté plurilingue, avec des cas de figure variables (concurrence, domination, complémentarité, etc.).
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Une politique linguistique peut aussi présenter une double visée : linguistique et socioculturelle, et les deux types d'intervention évoqués sont alors parfaitement solidaires. C'est ce qu'on entend par normalisation en Espagne dans la période actuelle où, en Catalogne par exemple, la normalisation sociolinguistique officielle du catalan implique la prise en compte de la normativisation linguistique (grammaticale, lexicale, orthographique...), déjà largement réalisée dans le premier tiers du XXe siècle ainsi que l'enrichissement terminologique permanent (Boyer, 1996, p. 103-104) et la promotion de l'emploi du catalan dans tous les secteurs de la vie sociale (non seulement éducation, mais aussi administration publique, commerces, médias, justice...). La normalisation est pour les sociolinguistiques catalanes la seule réponse pertinente à la dynamique de substitution que ne manque pas de créer un conflit diglossique en faveur de la langue dominante (Aracil 1965).
Le couple notionnel normalisation/normativisation correspond assez largement du reste à la dichotomie proposée par H. Kloss (1969) et adaptée par E. Haugen (1983) dans une modélisation plus complexe, en vigueur dans la littérature anglo-saxonne du domaine : status planning (planification du statut)/corpus planning (planification du corpus) ; le status planning « vise le statut social de la langue » ; quant au corpus planning il s'agit de « l'aménagement de la langue elle-même » (Daoust et Maurais 1987 : 9-10).
Si l'on veut mettre en synergie l'essentiel des modélisations et notions présentées dans ce qui précède, on obtient la figuration suivante :
Pour ce qui concerne l'appareil juridico-administratif au service des politiques linguistiques étatiques (dont le coût en termes financiers peut être très important), il y a donc diversité, qu'il soit mis en place au niveau central ou au niveau des collectivités territoriales (comme la Communauté autonome en Espagne, le District en Finlande, le Canton ou la Commune en Suisse...) ou à plusieurs niveaux à la fois. Ainsi en France la politique linguistique en faveur des langues de France autres que le français au nombre de 75 (qui prend en compte les langues régionales et minoritaires territorialisées, mais aussi les langues anciennement [et durablement ?] installées sur le sol français, mais non territorialisées – l'arabe dialectal, le berbère, le romani...) (Cerquiglini 1999) incombe institutionnellement à la Délégation générale à la Langue française et aux Langues de France (qui à l'origine s'occupait essentiellement de la mise œuvre de la politique linguistique du gouvernement en faveur de la défense du français). Cependant, on l'a dit, des Régions où une ou deux langue (s) territorialisée (s) autre (s) que le français (l'occitan, le breton, le catalan, le basque...) est/sont en usage, peut/peuvent faire l'objet de politiques linguistiques de protection, appuyées sur des enquêtes sociolinguitiques * , mettant en œuvre des campagnes de sensibilisation et de promotion, d'enseignement, de production de matériels divers en particulier pédagogiques, etc. On observe souvent une instrumentalisation de l'identité linguistique (et donc culturelle) régionale. Cependant ces politiques publiques contribuent à légitimer la survie de ces langues (en général stigmatisées en même temps que célébrées), à accroître leur visibilité dans l'espace public (au travers de signalisations bilingues ou de manifestations festives par exemple * ).
Le dispositif au niveau étatique peut se limiter à une Académie de la langue et en guise de dispositions on peut ne trouver qu'un article dans la Constitution. Mais on peut aussi observer la création d'autres instances de gestion, comme un Ministère, un Office, une Direction, des Commissions, des Conseils et la prolifération de textes réglementaires : décrets, arrêtés, circulaires et parfois le vote de lois linguistiques.
Par ailleurs, la réalisation d'une politique linguistique se doit d'être attentive au respect de deux principes fondamentaux du droit en matière de plurilinguisme :
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le principe de personnalité : selon lequel « Le choix de la langue [relève] des droits personnels de l'individu » (Mackey 1976 : 82) ;
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le principe de territorialité qui suppose une territorialisation de la gestion du plurilinguisme, laquelle peut revêtir des dimensions très variables, comme on l'a dit (région, canton, commune...). C'est ce principe qui inspire majoritairement les aménagements/planifications linguistiques.