La poésie médio-latine
On pense aujourd'hui que le rapport le plus étroit unit le trobar avec la poésie médiolatine, cette littérature plus ancienne et qui devait bien longtemps encore survivre dans les cercles intellectuels (Louis XIV n'a-t-il pas assisté à des pièces en latin et Jaurès n'a-t-il pas fait sa thèse dans cette langue ?). De fait, une bonne partie des métaphores des troubadours se trouvent également dans les œuvres médio-latines. Comment aurait-il pu en être autrement ? Si les troubadours étaient des hommes de culture, celle-ci devait être pour une grande part latine. Il y a pourtant une différence fondamentale : si les poètes latins s'adressaient à des entités abstraites telles que la sagesse, les troubadours, comme Roncaglia l'a bien vu, en prenant la femme pour sujet et pour destinataire, d'une certaine façon, changeaient le monde. En fait, en adressant leur poésie à la femme, jusque là éternelle inférieure dont le christianisme n'avait guère changé le sort en l'encadrant entre Ève et Marie, en la considérant comme digne d'amour et d'amitié et non plus seulement comme objet du désir masculin, leur entreprise dépassait nettement la simple poésie personnelle. À côté des idéaux de vie chrétiens que représentaient le moine et le chevalier, prenait place un idéal de vie courtois, non opposé à la religion, tant s'en faut, mais laïque, celui des parfaits amants, dont la fin'amor exigeait une forme de perfection opposée à l'égoïsme du couple et bénéficiant à la société. Bien entendu, cet idéal avait bien plus cours dans l'éther de la poésie que dans la réalité difficile à vivre du Moyen Âge et, même si la période a connu de très grandes silhouettes féminines, la poésie a plutôt ouvert la porte à une lente modification des idées que véritablement changé les pratiques. |