Le concept de diglossie
La diglossie est un concept de la sociolinguistique américaine popularisé à la fin des années 50 (FERGUSON[1]). À l'origine, la diglossie représente la répartition fonctionnelle de deux variétés d'une seule et même langue au sein d'une communauté, l'une étant considérée comme variété « haute », l'autre comme variété « basse » (Fig. 1). Ferguson donne l'exemple de l'Égypte, pays dans lequel l'arabe littéral est employé pour les registres « nobles » (l'administration, la religion, etc.) face à la forme dialectale, l'égyptien, utilisé pour la communication quotidienne. Dans cette perspective, la diglossie représente un modèle linguistique équilibré dans lequel les usages entre les deux formes de langues « hautes » et « basses » se font de manière stable, en vertu d'une économie linguistique qui s'organise selon des fonctions bien précises. |
Autour du linguiste Robert Lafont[2], la sociolinguistique occitane de l'école de Montpellier a repris ce concept de diglossie en l'adaptant à la situation de l'occitan et en lui donnant une dimension plus polémique dans le cadre d'un rapport conflictuel pouvant opposer deux langues distinctes sur un même territoire. Pour l'occitan (comme pour toutes les autres langues de France), le déclassement diglossique représente alors le passage d'un état dans lequel l'occitan occupe toutes les fonctions que peut occuper une langue (Fig. 2) à celui d'une langue subordonnée à une autre (Fig. 3) : la langue "haute" est alors le français qui sert pour les registres socialement valorisés (administration, éducation, etc.) et l'occitan, dorénavant déclassé, n'est plus perçu que comme un élément du dispositif linguistique du français, réservé aux registres considérés comme les plus "bas" (oralité, récits, contes, etc.). Il va de soi que dans ce dispositif, l'occitan se voit définitivement privé des fonctions dites prestigieuses qu'il occupait jusqu'alors. |
Dans ce processus diglossique, l'occitan perd le statut de langue autonome. La langue n'est plus considérée comme une langue, ni même comme un dialecte qui serait doté d'un nom : la notion de “patois” qui tend alors à se répandre donne une vision de la langue complétement atomisée en une myriade de parlers sans contours précis, sans noms, sans liens entre eux. Il est clair alors que dans cette nouvelle économie linguistique, la seule langue qui puisse servir de référence "haute" à ces usages bas est le français. C'est ce que nous appellerons la première diglossie, une phase durant laquelle l'occitan se maintient relativement bien dans sa forme orale. Dans cette première phase, l'occitan connaît certes une restriction d'usage, mais n'est pas encore menacé de disparition du fait même que la population méridionale reste majoritairement monolingue. Ajoutons que pour la sociolinguistique du conflit de l'école de Montpellier, la diglossie n'est pas un processus stable, contrairement à ce que préconise le concept initial de Ferguson, mais un processus dynamique et conflictuel qui conduit la langue dominante à dévaloriser progressivement la langue dominée jusqu'à lui retirer toute légitimité. C'est la seconde et ultime phase du processus diglossique qui doit conduire à la victoire totale du français sur les « patois » et à coloniser progressivement tous les registres linguistiques qu'une langue peut occuper (Fig. 4). |
Le processus de minoration linguistique de l'occitan — et plus largement des langues de France — n'est pas lié comme on l'entend parfois à une quelconque supériorité intrinsèque du français sur les autres langues — toutes les langues ont a priori une égale dignité à condition qu'on leur donne les moyens de se développer ou tout simplement de survivre —, mais ce processus de minoration de l'occitan est la conséquence d'une politique délibérée de promotion du français et du monolinguisme aux dépens de l'occitan. Selon Robert Lafont (1984), la prise de conscience cette situation diglossique conflictuelle doit conduire à lutter contre la disparition programmée de l'occitan en essayant de "retrousser la diglossie". |
Présentation du concept de diglossie en animation |
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