Peinture et sciences

Le 15 avril 1452, à Vinci, naissait le génie le plus complexe et le plus fascinant de tous les temps : Léonard de Vinci. C'était non seulement un grand savant mais également un grand peintre. Comme tout artiste de la Renaissance, il devait s'attacher à un mécène qui lui accorderait ses subsides; Léonard décida de se confier à Ludovic Sforza alors Duc de Milan.

La première commande que Léonard obtint de Sforza fut le Cheval, auquel il travailla, de manière intermittente seize années durant. Ce cheval était le rêve de Sforza qui voulait un monument digne de son père, Léonard songeait, lui, à sa première grande œuvre.

Léonard se concentra sur cette statue et étudia des dessins des sculptures antiques. Celles-ci avaient toutes, deux points communs : leur taille qui dépasse un peu la grandeur nature et, un membre antérieur levé. Ce sabot reposait souvent sur un ennemi vaincu gisant sur le sol. Ce support est supprimé dans le monument de Verrechio, dernier en date, suppression devenue courante par la suite mais, les sculpteurs du début de la Renaissance n'avaient qu'une connaissance précaire da la statique, et donnaient une assise solide à leurs statues.

Bien qu'il rencontra autant de difficultés techniques que ses prédécesseurs, Léonard résolut d'étonner le monde et de les surpasser. Sa statue équestre serait non seulement la plus grande mais la plus majestueuse que l'on ait jamais conçue. Il la voulait à l'échelle homérique, deux fois plus grande que les monuments déjà existants. Et le cheval, colossal par ses dimensions, ne serait pas en position de trot ou de galop, mais cabré, les deux membres antérieurs au-dessus du sol.

Pour réussir cet exploit, Léonard étudia avec soin et longuement les bêtes magnifiques qui se trouvaient dans les écuries de Sforza, études qui lui fournirent un traité d'anatomie chevaline de premier plan. De cette époque il nous reste de magnifiques dessins à la pointe d'argent dont Léonard possédait le secret.

De même il consacra beaucoup de temps au problème d'équilibre, il dessina le cavalier assis sur la croupe du cheval, son bras portant une arme, le buste projeté sur l'arrière pour déplacer le centre de gravité. Il semble bien qu'il se découragea souvent de résoudre ces problèmes de statique, car il finit par se résigner à dessiner un support, en l'espèce un corps couché à l'avant du cheval, mais il laissa au cavalier une pose active.

Aucun de ceux qui suivaient l'œuvre ne croyait que celle-ci fut un jour coulée. Il est vrai que la statue ne fût jamais fondue, néanmoins il est probable que Léonard aurait fort bien pu et fort bien su la couler. Le premier problème était d'introduire les huit tonnes de métal fondu, assez rapidement et à une température assez élevée pour éviter que le refroidissement ne se produise de manière irrégulière et ne provoque ainsi un vrai désastre. Léonard, en homme de science, avait proposé de multiplier les foyers de chaleur. Dans un traité fragmentaire, " De la pesanteur " il parvient à résoudre le problème de l'équilibre ; ses esquisses montrent des supports en arc de cercle, à l'intérieur de la statue, et sa science de la gravité était bien suffisante pour le but qu'il s'était proposé d'atteindre.

Léonard abandonna l'idée du cheval cabré de peur que celui-ci attire plus l'attention que le cavalier, et que Ludovic Sforza se vexe. Il y avait plus d'un siècle que Léonard était mort lorsqu'on eut assez d'audace, en Espagne pour mettre cette idée à exécution; le premier monument équestre comportant un cheval cabré fut érigé vers 1640 par Piétro Tacca en l'honneur de Philippe IV. Ce fut Galilée qui résolut le problème de statique au moyen de calculs très proches de ceux de Léonard.

Léonard réalisa néanmoins un moule de cheval de taille impressionnante à l'occasion des fiançailles d'un Sforza. Ce moule fit sa renommée dans toute l'Europe et ne fut détruit que six ans plus tard par une troupe d'archers gascons insensibles à l'art mais sensibles au vin de Lombardie qui prirent le modèle pour cible et percèrent des nombreux trous. Le temps et la pluie se chargèrent du reste.

Comment parler de Léonard de Vinci sans évoquer  la Cène . Dans son état d'esprit  la Cène  était certainement d'une beauté incomparable. Léonard ne l'avait pas traitée à la fresque, mais à la détrempe, en utilisant tous les effets des couleurs extrêmement riches qu'offre cette technique. Mais pour peindre directement sur la surface du réfectoire il crut nécessaire de la recouvrir au préalable d'un enduit protecteur dont il avait entendu parler. Il envoya deux de ses élèves le chercher auprès de Mattias Lünch, scientifique originaire de Bavière, qui s'était révélé maître dans l'art des enduits de protection. Malheureusement celui-ci n'effaça pas les erreurs des maçons de la chapelle Sainte-Marie-Des-Grâces, qui avait été reconstruite hâtivement, avec des mœllons poreux, pleins de sels et d'acides qu'exsudent la chaux et la vieille brique.

Il y a aussi dans cette peinture un aspect technique qui témoignerait pour le génie de Léonard s'il en est besoin. La surface qu'il avait à couvrir présentait une difficulté par ses dimensions. 4,50 mètres environ sur 9 mètres, et le cadre architectural dont il fallait tenir compte: le sol et le mur n'étaient pas perpendiculaires. Léonard dut revoir toutes ses techniques sur la perspective pour pouvoir rendre à l'œuvre ses véritables formes. Léonard dessina d'abord les silhouettes, puis leur donna un arrière-plan qui, en dépit des limites imposées par la hauteur du mur, semble spacieux, comme aéré: c'est un chef-d'œuvre de la perspective.

Aucun grand artiste n'a jamais offert à ses pairs un exposé technique comme l'a fait Léonard dans son "  Traité de la peinture ". Bien qu'une œuvre comme  La Joconde comporte des parties trop profondes et relevant bien trop de l'imagination de l'auteur pour qu'il en ait pu transmettre les formules dans son traité. Il pensait que la peinture était gouvernée par des principes et des règles telles les mathématiques. Des exemples de ces préceptes, pris au hasard , nous apprennent que : " lorsqu'il faut dessiner d'après nature il convient de se tenir à une distance égale à trois fois la dimension de l'objet ... Tout objet opaque qui est incolore emprunte la couleur qui lui est opposé, comme c'est le cas d'un mur blanc ... Les ombres portées par des arbres sur lesquels le soleil brille sont aussi sombres que celles du milieu de l'arbre ... Le soleil semble plus grand sur une eau courante ou quand la surface de l'eau forme des vagues que sur une eau calme. " Claire aussi est son opinion concernant le rôle de l'intelligence sur la création artistique. " Ceux qui sont amoureux de la pratique sans avoir la science sont un peu comme le pilote qui monte à bord sans gouvernail et sans compas et ne sait jamais avec certitude où il se trouve. "

Léonard étudia longtemps le  corps humain , souvent il étudiait le jeu des muscles sur les corps minces d'hommes vivants. Il écrivit même: " le peintre qui a acquis une bonne connaissance de la nature des tendons et des muscles saura combien de tendons et lesquels seront la cause des mouvements de n'importe quelle partie du corps "

Léonard s'intéressa de la même façon à la botanique et à la zoologie. Il formulera de nombreuses affirmations résultant d'heures et de journées d'observation qui se vérifient encore souvent dans la science actuelle.

Il en est ainsi pour sa théorie sur la profondeur de l'atmosphère; ayant découvert que celle-ci s'allégeait avec l'altitude il proposa au peintre de dessiner les sommets des montagnes nettement plus sombres et plus définis.

Léonard s'intéressa aussi à la perspective dont il fit quelques remarquables études comme celles de L'Adoration des Mages, ou la Cène  où il illustre la perfection de la perspective linéaire mathématique. A partir de cette forte base scientifique qui s'exprime dans une abondance de figures animées, il bondit vers des sphères mystérieuses, de sorte que ce dessin extraordinaire transcende son propos initial et devient un peu le reflet de la haute qualité de son intelligence.

Léonard était à la fois un grand artiste et un grand savant, il est difficile de savoir s'il faisait de la peinture dans le but de trouver des fonds pour mener ses expériences scientifiques et technologiques ou si cet illustre peintre ne réalisait ses observations scientifiques que dans le but de pouvoir donner encore plus de grandeurs à ses œuvres, mais dans un cas comme dans l'autre, reste l'énigme de cet homme qui ne termina jamais ses projets artistiques ou scientifiques. Il a rendu de grands services à la science et nous laisse de véritables chefs-d'œuvre parmi les plus beaux tableaux de la Renaissance. Léonard de Vinci était le véritable lien entre le monde artistique et l'univers scientifique, il avait réussi à faire vivre les deux dans la plus grande symbiose.

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